Quand l'industrie minière profite du coronavirus
Au Pérou, les violations des droits humains et les dégâts environnementaux causés par l’industrie minière menacent les habitats des indigènes. À cela s’ajoute désormais la pandémie, qui profite au lobby minier. État des lieux avec notre coopérant Mattes Tempelmann.
Le Pérou est le 6e pays le plus touché au monde par le coronavirus. Mi-août, le gouvernement dénombrait déjà 516 000 cas. Un confinement national a été instauré,sous contrôle strict de l’armée. Les travailleuses et travailleurs du secteur informel, comme les marchand·e·s, les cireurs de chaussure, les chauffeurs de taxi ou les employé·e·s de maison, en sont les premières victimes. Deux tiers de la population voient ainsi leur existence menacée.
Pas de confinement pour l’activité minière
Le confinement est l’affaire de tous… sauf des exploitants miniers. Le gouvernement péruvien a cédé à la pression du lobby et les mines peuvent continuer à tourner sans restriction. Les conséquences sont dramatiques : le 21 mai, 753 travailleurs des mines avaient déjà été infectés au Covid-19. Les activités minières se poursuivent par ailleurs sans aucun contrôle environnemental puisque les autorités compétentes n’ont pas le droit de travailler durant ce confinement. Les comités de contrôle locaux issus de la société civile sont eux aussi à l’arrêt. Lʼassociation Red Muqui a eu connaissance de nombreux problèmes, comme des déversements ou des fuites d’effluents toxiques dans les eaux, résultat direct de l’absence de contrôles, dont profitent sans scrupule les sociétés minières.
Le cuivre toxique de Espinar
Le petit documentaire suivant montre à quel point les conséquences de l'extraction est grave pour la santé des habitants de la région et de leur bétail, alors que les mines d'Espinar sont exploitées par une multinationale suisse, Glencore.
Je travaille déjà depuis 6 ans avec Comundo pour Red Muqui. Cette association représente 29 organisations péruviennes actives dans le développement durable, la protection de lʼenvironnement et la défense des droits des populations touchées par les activités minières. Comme géographe, j’accompagne des groupes de travail sur les questions de la gestion de l’eau, de l’aménagement du territoire, des contrôles environnementaux et des conflits socio-écologiques.
Red Muqui recense entre autres les dégâts environnementaux signalés par des habitant·e·s des régions concernées. Ainsi, on nous a rapporté que dans la province de Santiago de Chuco, des sociétés minières formelles et informelles (aussi bien nationales qu’internationales) étaient en activité en amont d’un bassin versant. Cela engendre une détérioration et une contamination de l’eau que la population utilise dans ses foyers, pour lʼélevage ou encore pour lʼagriculture. Et les autorités compétentes ne font absolument rien pour contrôler ces activités.
Expansion des projets miniers durant la pandémie
Au contraire, nous avons remarqué que le gouvernement péruvien profitait de la crise pour relancer certains projets miniers critiques. Nous avons été particulièrement marqué·e·s par les déclarations de Susana Vilca, la ministre de l’Énergie et des Mines, sur le projet de la mine de Conga à Cajamarca (de lʼentreprise étatsunienne Newmont) et celui de Tía María, à Arequipa (du groupe mexicain Southern Copper Corporation) : « Les feux sont au vert en ce qui concerne les normes environnementales et sociales. Nous devrons de toute façon rouvrir les mines tôt ou tard ; l’exploitation minière est indispensable ». Ce qui est très inquiétant, c’est que les deux projets font l’objet de graves préoccupations techniques et environnementales. Les entreprises concernées ne sont absolument pas soutenues par les populations locales, qui ne veulent pas d’activités minières sur leurs terres.
Le projet de Tía María sera suivi de très près, car il ne respecte pas les conditions environnementales et sociales nécessaires. La population de cette vallée fertile de Tambo pratique une agriculture prospère, qui emploie des milliers de personnes et approvisionne la population de tout le pays en légumes, en fruits et en riz.
L’agriculture plutôt que les mines
Le cas de Tía María résume à lui seul l’écart existant au Pérou entre l’exploitation minière et l’agriculture : le gouvernement veut faire aboutir un projet minier, qui sert des intérêts économiques privés, sans se soucier aucunement des besoins de la population locale. Le réseau Red Muqui estime qu’une relance économique de la région nécessite de promouvoir des activités territoriales et locales alternatives, comme une agriculture qui permettra d’assurer la subsistance des Péruviennes et Péruviens en période de crise.
Les organisations rurales et les « rondes » paysannes, les Rondas Campesinas, revendiquent un soutien accru pour l’agriculture. Durant le confinement, elles ont continué à se rassembler, comme au début du mois de mai à Santiago de Chuco dans la région de La Libertad, pour protester contre le soutien unilatéral à l’activité minière et la marginalisation systématique de l’agriculture qui en découle. Elles ont également appelé les autorités locales à décentraliser la commercialisation des produits alimentaires et ont demandé la mise en place de contrôles des entreprises minières pour prévenir une nouvelle contamination au coronavirus des communautés vivant à proximité des mines. Résultat : sous la pression des syndicats agricoles, de communautés paysannes et d’organisations de la société civile, le Congrès de la République a adopté certaines revendications. Ainsi, la relance économique ne se basera pas exclusivement sur les activités extractives comme l’exploitation minière, mais devra également prendre en compte l’agriculture. Red Muqui suivra très attentivement l’évolution de cette situation.
De Mattes Tempelmann | 15 septembre 2020 | Pérou
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