L'éducation digitale en Afrique : une chance ?
L'interview : en Afrique, des organisations internationales et des entreprises locales tentent d’amener l’éducation au numérique dans les campagnes. Geraldine de Bastion et Melanie Stilz, deux expertes de la coopération au développement, nous relatent les chances, les risques et les effets collatéraux de cette ambition.
Quelles perspectives l’éducation numérique offre-t-elle aux pays pauvres du Sud ?
Melanie Stilz : Le virage numérique engendre partout une diversification et une diffusion plus rapide de l’information. Les organismes de formation ont perdu leur monopole au profit de ressources éducatives toujours plus ouvertes, parfois gratuites, et d’infrastructures perfectionnées, qui permettent de diffuser et recevoir facilement les contenus éducatifs.
Geraldine de Bastion : De nouvelles structures et de nouveaux acteurs prennent de plus en plus d’importance. Notre agence (konnektiv.de, ndlr) travaille en étroite collaboration avec l’association Global Innovation Gatherings, un réseau international de pôles d’innovation, dont beaucoup sont basés en Afrique. Ces pôles se considèrent souvent comme des maillons d’une nouvelle infrastructure éducative numérique. Là où l’on manque le plus de matériel et de méthodes d’enseignement, ils constituent effectivement une pièce importante du puzzle.
« Le potentiel des canaux numériques en matière d’accès à l’éducation pour les personnes défavorisées est très grand. »
Le virage numérique permettra-t-il une éducation égale et équitable pour toutes et tous ?
MS : Le potentiel des canaux numériques en matière d’accès à l’éducation pour les personnes défavorisées est grand. La majorité des offres numériques suivent néanmoins les lois du marché et n’ont pas le bien commun pour objectif. Les autorités locales et les entreprises technologiques pourraient inverser la tendance en garantissant, par exemple, un accès gratuit à Internet, en renforçant les infrastructures techniques, en traduisant les contenus, en organisant des formations, etc. La formation des enseignant·e·s aux méthodes d’enseignement par le numérique est aussi un thème de première importance.
« Il faut prendre en compte la logique locale dans l’élaboration de projets numériques. La collaboration avec les enseignant·e·s produit clairement les meilleurs résultats. »
La coopération au développement peut apporter sa contribution dans ce domaine. Différentes ONG internationales soutiennent des projets éducatifs basés sur les nouvelles technologies dans des régions rurales. Cependant, les pénuries d’électricité, les appareils défectueux, le manque de soutien, la rigidité des programmes scolaires, le manque de maîtrise informatique des enseignant·e·s, rendent souvent difficile une mise en oeuvre à grande échelle. Certaines organisations préfèrent donc construire des écoles plutôt que se lancer dans de tels projets.
GdB : Cette alternative entre la numérisation et d’autres mesures de développement de l’éducation est un faux dilemme. À l’heure actuelle, nous devons inclure la composante numérique dans tout ce que nous entreprenons. L'Afrique doit pouvoir profiter de la digitalisation. En général, les ordinateurs et les programmes éducatifs sont importés de l’étranger. Sans un entretien adéquat, les appareils ne résistent pas à l’humidité, à la chaleur ou à la poussière et les programmes éducatifs ne sont pas adaptés au contexte local. Les fournisseurs locaux peuvent jouer un rôle, en collaboration avec les autorités, les entreprises et les investisseurs, et mettre sur pied différentes solutions. Les approches innovantes sont nécessaires. De nombreux projets novateurs existent déjà, mais n’ont encore été implémentés à grande échelle dans aucun pays.
MS : Même si les problèmes d'infrastructures posent de grands défis et que le nombre de bénéficiaires n'est pas encore suffisant, les projets de numérisation menés par la coopération au développement sont nécessaires. Il s’agit de mener des expériences pratiques et de les évaluer. Seuls ces projets peuvent permettre de comprendre ce qui fonctionne, ce qui a du potentiel et nous montrer où se situent les limites.
Quelles solutions peuvent émerger de ces projets de numérisation ?
MS : J’ai participé à l’évaluation d’un projet en Afghanistan qui visait à équiper des élèves d’un ordinateur portable. Si les enfants se réjouissaient d’utiliser ces nouveaux appareils, les enseignant·e·s avaient été écarté·e·s de la conception des leçons et ne parvenaient pas à intégrer les contenus numériques à leurs cours. Il faut veiller à prendre en compte la logique du système scolaire concerné dans l’élaboration de projets numériques de ce type. La recherche et les évaluations ont démontré que la collaboration avec les enseignant·e·s amenaient les meilleurs résultats et une meilleure durabilité. En ce qui concerne les appareils, de nombreux pays africains agissent selon les principes de la culture « maker » : on ne jette pas ce qui est cassé, la créativité permet de tout réparer.
GdB : À cela s’ajoute le renforcement des capacités : l’installation d’ordinateurs, de l’électricité ou de panneaux solaires doit être faite en étroite collaboration avec des partenaires locaux. Ou inversement, on peut observer quelles infrastructures et quels fournisseurs de services existent dans une région et élaborer un projet en coopération. Le contexte local est primordial pour réussir un virage numérique. Et ne l’oublions pas : le développement de l’enseignement par le numérique est tout aussi nécessaire qu’une offre de formations techniques.
Geraldine de Bastion (à gauche) et Melanie Stilz, cofondatrices de l’agence berlinoise Konnektiv, qui conçoit, gère et évalue des projets internationaux de développement dans le domaine des technologies de l’information et de la communication.
De | 22 juin 2020 | Zambie
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