Covid19 en Bolivie : des plantations pour survivre
Comment s'en sortir dans une grande ville comme El Alto / La Paz durant la crise du Coronavirus ? Économie informelle au point mort, violence domestique, système de santé défaillant : Jérôme Gyger relate la situation sur place et explique son projet d'agriculture urbaine, qui donne une partie de la solution.
Depuis le 22 mars, nous vivons en Bolivie au rythme d’un confinement strict. Ce contexte, complétement inimaginable à notre arrivée en janvier est désormais une réalité. Ce billet vous donne une idée de la situation sociale que nous traversons ici, en plus de vous transporter pour quelques instants au coeur d’un projet urbain de sécurité alimentaire avec les femmes de notre organisation partenaire FOCAPACI, qui s’engagent pour l’entraide alimentaire si nécessaire actuellement.
Le confinement est des plus strict. Cela se résume à un droit de faire des courses une matinée par semaine selon le dernier chiffre de notre carte d’identité et cela uniquement pour les personnes âgées entre 18 et 65 ans. Nos enfants qui débordent d’énergie n’ont plus aucun droit de sortir. Mes collègues de travail ne possèdent pas tous un ordinateur à la maison et n’ont pas forcément de connexion internet. Ils se défendent avec leur téléphone portable en achetant du crédit lorsqu’ils le peuvent. Nos séances de travail virtuelles sont très souvent entrecoupées. Cela dit, nous restons confrontés à des problèmes qui s’avèrent presque luxueux.
Plus aucun revenu et un système de santé défaillant
En effet, cela n’est pas représentatif de la réalité où les gens pensent avant tout à survivre. La ville d’El Alto a une économie basée sur le commerce informel. Entre 70 et 80% de la population vit au jour le jour grâce à leur activité quotidienne. Un confinement strict a des répercussions terribles, coupant ainsi toute possibilité de revenu. Si de petites sommes d’argent sont délivrées par le gouvernement à la population dans le plus grand besoin, cela ne suffit malheureusement pas. Ainsi, beaucoup de secteurs de la ville résistent à la quarantaine arguant que dans un cas comme dans l’autre, une mort certaine les attend. Les paramètres des mesures prononcées sont donc très sensibles et les pressions sont fortes pour libérer l’économie de survie.
Si les conséquences sont dramatiques pour les entrées d’argent permettant d’acheter des aliments, une autre réalité plus silencieuse fait craindre un bilan terrible du Covid-19 : la violence domestique. Selon des investigations de FOCAPACI, près du 70% des femmes avec qui nous travaillons sont victimes d’un type de violence au sein de son foyer (physique, psychologique,…). C’est alarmant et cela se vérifie malheureusement avec le confinement. En un mois de quarantaine, le gouvernement a annoncé près de 1000 cas de violence familiale et 5 décès de femmes. La Bolivie est tout simplement le pays d’Amérique du Sud avec le taux de féminicide le plus élevé (CEPAL).
Au niveau sanitaire, la vidéo ci-dessus vous donnera plus d’indications sur le personnel de santé qui a démissionné en masse par peur du virus ou les délais bien trop longs de dépistage.
Cette situation a également eu raison des élections présidentielles prévues le 3 mai, suite au départ forcé d’Evo Morales en fin d’année passée. Elles sont reportées à une date que nous ne connaissons pas encore. Toutefois, la Chambre des députés a fait pression pour avoir des élections au plus vite. Nous avons donc affaire à un gouvernement provisoire qui dure et cela ne joue pas en faveur de l’apaisement des tensions politiques toujours bien présentes. En effet, le pouvoir actuel est accusé d’instrumentaliser la pandémie à des fin politiques.
Heureusement, des organisations comme FOCAPACI pour laquelle je m’engage donnent de l’espoir. Durant cette crise, elle a réorienté son action pour fournir des paniers de légumes aux personnes les plus défavorisées qui n’ont plus de quoi se nourrir. Nous avons déjà pu fournir des dizaines de paniers de légumes provenant des serres du projet et prévoyons d’augmenter cette aide à 400 familles. Voici comment fonctionne le projet d’agriculture urbaine par les femmes.
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Les femmes s’engagent dans les plantations urbaines
Depuis janvier et jusqu’au confinement, c’était un triathlon que je menais pour me rendre sur les hauteurs de la ville où je travaille : 25 minutes de marche, 10 minutes de télécabine et 25 minutes de taxi collectif. L’accueil de mes collègues fut fort agréable et j’ai eu l’occasion de les suivre sur le terrain dès les premiers jours afin de m’approprier de la globalité du projet d’agriculture urbaine.
C’est d’abord grâce aux quatre ingénieurs agronomes que je commence à faire la connaissance des 300 femmes productrices bénéficiaires du programme. On s’introduit dans leur patio afin de s’approcher de leur tente solaire qui abrite des richesses insoupçonnées. Une fois la porte ouverte, nos yeux sont ébahis. Des fraises, des tomates, du raisin ou encore du maïs sont cultivés dans ces serres urbaines perchées à 4'000 mètres d’altitude. C’est stupéfiant. Mais il faut dire qu’à l’intérieur de ces tentes, la température est souvent supérieure à 30 degrés.
Ces visites me permettent de me rendre compte de l’impact positif et l’importance de posséder une telle tente solaire en milieu urbain. C’est un véritable trésor qui permet d’alimenter toute la famille de façon saine. C’est là l’objectif premier de notre projet, une consommation suffisante pour la famille. Les femmes sont valorisées au travers de leur travail et sont reconnaissantes envers tous ces aliments variés qu’elles arrivent à produire. Non seulement ils représentent une économie certaine sur le budget familial, mais beaucoup de femmes insistent sur l’impact positif que ces aliments ont sur la santé de leurs enfants et que désormais, ils sont beaucoup moins malades. En effet, l’alimentation peu variée et souvent de mauvaise qualité génère bien fréquemment de grandes carences à la population la moins favorisée de El Alto et particulièrement aux enfants.
Dans un second temps, cela me donne la possibilité de mesurer l’ampleur du défi qui m’attend pour la commercialisation des excédents de la production. En effet, posséder une tente d’environ 27m2 reste un défi majeur en ville. Seulement 126 femmes possèdent une tente d’une telle dimension. Les autres possèdent uniquement des petites jardinières de 2-3m2 qui rendent la production très sommaire et la commercialisation impossible dans l’immédiat.
C’est pourquoi nous nous concentrons dans la mesure du possible à implémenter, le plus rapidement que nous pouvons, de nouvelles tentes afin de consolider la production. Cependant, cet exercice n’est pas aussi facile qu’il n’en parait. La disponibilité du terrain est un premier problème. Nous devons faire avec l’espace disponible qui parfois est réduit.
Ensuite, les femmes doivent manifester un véritable intérêt pour s’investir dans un projet d’agriculture urbaine écologique sans usage de pesticides. C’est la raison pour laquelle elles préparent le terrain pour la construction de la tente et doivent investir pour les matériaux requis (mur, bois, engrais, tourbe, ...). Cela représente un coût important pour elles (environ USD 400), mais cela donne une garantie d’un investissement personnel dans le futur travail de production.
Une formation solide en vue de l’autonomisation
Lorsque les femmes souhaitent prendre part au projet, elles sont directement inclues dans notre programme de formation qui les rend totalement indépendantes dans la gestion de la production. Ainsi, un programme de suivi et de formation est parfaitement ficelé et prévu en différents modules selon leur niveau de connaissance en matière de production organique. Afin de rendre ce travail réalisable avec 300 femmes, des groupes de travail sont constitués.
Mon projet consiste à accompagner ces femmes au travers d’un programme de commercialisation et de comptabilité que nous allons construire ensemble. Mon objectif sera ensuite de les aider à commercialiser leurs produits et de définir quels sont les points de vente stratégiques que nous pourrons ouvrir. Ce sont définitivement ces femmes qui ont toutes les clés et connaissances et il s’agit de les mettre en lumière et de concrétiser ces idées.
Nous travaillons également à la sensibilisation des consommateurs. En effet, des produits bio et variés ne font pas forcément écho auprès de la population et ce pour de multiples raisons (coûts, éducation, offre du marché, habitudes alimentaires, …). Ainsi, nous travaillons de pair avec des groupes de consommateurs d’origines multiples. Le but est d’établir une connexion entre ces consommateurs et les femmes productrices et de générer ainsi une meilleure osmose entre l’offre et la demande.
Toutes ces formations et ateliers se déroulent le plus souvent au domicile des personnes. Quel ne fut pas mon plaisir de découvrir qu’après chaque formation, il est de tradition de partager un apthapi. Il s’agit d’une tradition andine ancestrale de partager des aliments. Chaque femme apporte un plat cuisiné afin de vivre un moment d’échange où la réciprocité est mise en avant. Mon problème est que je dois honorer les plats de chacune. Ainsi, lorsque les groupes de travail dépassent 10 femmes, je fais mes réserves pour la semaine.
Vers un plan d’action efficace
Fin février, nous avons pris un temps avec l’équipe du projet pour définir un plan opératif jusqu’à la fin de l’année. Pour ma part je vais développer la commercialisation territorialisée. L’objectif est de se focaliser sur des quartiers et d’insuffler un mode de production et de consommation différent à petite échelle. La commercialisation sera ainsi adaptée au contexte local.
Un autre projet sur lequel je dois travailler est celui de réaliser un fonds rotatif. Il s’agit de fournir des outils et des produits aux femmes pour leur production, qu’elles doivent rembourser par la suite. Avec le contexte sanitaire actuel, ce fonds pourrait même servir à couvrir d’autres nécessités, car il est probable que les priorités des femmes risquent de changer et que la priorité ne sera pas forcément donnée à leurs cultures.
Enfin, un autre grand axe de mon travail se focalise sur la systématisation de l’information au sein de l’institution. En effet, beaucoup de données se perdent et ne sont pas transmises notamment lorsqu’un collaborateur quitte le projet. Les outils informatiques de base ne sont pas utilisés et c’est Whatsapp qui sert de plateforme de référence pour la transmission de documents. Il est donc facile d’égarer une information importante au milieu de la vingtaine de groupes Whatsapp actifs pour le projet.
Une journée aux côtés de Doña Eduarda
Mes activités quotidiennes me donnent l’occasion de rencontrer des personnes extraordinaires. C’est le cas d’Eduarda Taquichiri, 67 ans. Cette maman de 4 enfants et grand-maman d’un petit fils, est rattachée depuis de nombreuses années à FOCAPACI. Au début bénéficiaire du programme de sécurité alimentaire, elle est maintenant totalement indépendante et nous aide à former d’autres femmes à l’agriculture urbaine et à la commercialisation. En effet, à peine 10% des femmes se dédient à la commercialisation, c’est encore trop peu.
Quel est donc le secret de sa réussite ? Comment a-t-elle pu devenir autonome, qui plus est à un âge où on songerait davantage à se ménager ?
Rendez-vous a donc été pris de bonne heure un vendredi matin avant la crise à El Alto. En la voyant arriver chargée de 3 gros sacs remplis de ses récoltes, je ne pouvais qu’admirer son courage. La marchandise devait peser pratiquement autant qu’elle. J’étais donc heureux de pouvoir l’accompagner et l’aider dans ce qui est un vendredi des plus classiques pour elle.
Nous embarquons dans un mini-bus bondé afin de descendre à La Paz pour 1h30 de voyage dans une capitale au traffic bondé. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’elle me dit que nous allons nous rendre directement dans le bâtiment du ministère du développement. C’est en habituée et avec beaucoup d’assurance qu’elle montre sa carte d’identité à la sécurité et qu’elle monte dans les étages. Les employés s’empressent de quitter leur poste de travail pour tout acheter de ses délicieux produits. Sa journée aura été prolifique. En calculant ensemble tous les coûts de production et de transport, Doña Eduarda aura réussi à générer un bénéfice d’un peu plus de 10 dollars.
Dans son quartier à El Alto, elle a aménagé un petit magasin attenant à sa maison. Le problème est que les gens ne viennent pas. La population préfère (ou n’a pas le choix) acheter en gros, au meilleur prix et sans regarder la qualité des aliments « qui remplissent le ventre », ce qui n’est manifestement pas le cas des légumes. C’est donc un grand défi qui nous attend, mais on sait que ce développement agricole permettra un vrai changement économique qualitatif au sein d’El Alto, et les femmes engagées y croient fermement.
Beaucoup de choses sont à suivre et je ne manquerai pas de vous informer de l’évolution de la situation. C’est donc animé de beaucoup d’énergie et d’espoir que je vous souhaite tout le meilleur dans cette période si spéciale. Prenez bien soin de vous. Cuídense mucho !
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De Jérôme Gyger | 10 juillet 2020 | Bolivie
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